Mélissa Di Sante, stagiaire postdoctorale au CReSP, est parmi un groupe très restreint de récipiendaires de bourses postdoctorales Banting 2021-2022! Ce programme offre du financement aux meilleur.e.s candidat.e.s postdoctoraux, au niveau national et international, afin qu’ils contribuent à l’essor économique, social et scientifique du Canada. C’est un bel honneur et une reconnaissance de l’excellence du parcours de cette jeune chercheuse. En mars dernier, Mélissa a été parmi les lauréates du programme DIALOGUE - Volet Relève étudiante financé par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) avec son projet « Faut qu’on se parle du langage ».
Nom du projet : Processus de l’action intersectorielle locale visant à soutenir le développement langagier des enfants grandissant dans des quartiers défavorisés de Montréal.
Affiliation de la stagiaire postdoctorale : Centre de recherche en santé publique (CReSP) et Chaire de recherche du Canada Approches communautaires et inégalités de santé (CACIS).
Parle-nous de ton projet: quel est le sujet de recherche de ton stage postdoctoral?
D’abord, mes intérêts de recherche tournent autour des habiletés de langage développées par les enfants d’âge préscolaire, les facteurs qui contribuent à leur bon développement et les meilleures façons de les soutenir. L’influence du milieu de vie dans lequel les enfants grandissent, particulièrement les liens entre la défavorisation sociale et matérielle des familles et le développement langagier des enfants, a toujours particulièrement piqué ma curiosité. Auparavant, j’ai toujours porté un regard très “clinique” sur la façon dont les enfants apprennent et développent le langage. Mon postdoctorat me permet plutôt de porter un regard un peu plus élargi sur cette question, pour m’intéresser aux déterminants “sociaux” du langage, c’est-à-dire les conditions sociales et économiques qui influencent plus indirectement le développement langagier des enfants.
On peut penser par exemple à l’accès à des environnements stimulants et sécuritaires dans un quartier comme des parcs, des bibliothèques, des milieux de garde et des écoles de qualité ou à l’accès à des soins de santé et des services sociaux. Ces déterminants se distribuent de façon inégale entre les territoires (et même entre les quartiers d’une ville!) et sont une des sources d’inégalités dans les habiletés de langage des enfants. Ils dépendent aussi de différents secteurs d’activités (p.ex., santé, éducation, solidarité sociale, immigration) et sphères de la société (institutionnel, philanthropique, communautaire, privé). C’est pourquoi l’objectif de mon étude postdoctorale est de documenter les actions qui permettent à des réseaux intersectoriels de créer des transformations dans leur communauté locale, en matière de ressources qui contribuent au développement du langage des enfants.
Pour faire plus simple: j’étudie comment des personnes qui viennent de différents milieux, sphères ou domaines de la société se mettent ensemble pour trouver des solutions innovantes pour soutenir le développement langagier des enfants sur leur territoire local.
Pourquoi as-tu choisi le CReSP pour développer ta recherche?
Mes études de doctorat menées auprès d’enfants suivis en protection de la jeunesse pour motif de négligence m’ont placé face au constat que plusieurs familles ont besoin d’aide pour offrir à leur enfant toutes les opportunités dont il ou elle a besoin pour se développer harmonieusement. La distinction est importante ici: ce n’est pas nécessairement qu’ils ne veulent pas ou ne savent pas comment soutenir le développement de leur enfant, mais qu’ils ne peuvent pas le faire pour différentes raisons. Pourtant, le bon développement du langage dans les premières années de vie est un objectif primordial à atteindre dans une société, puis qu’il constitue le fondement sur lequel repose le reste des expériences de vie d’un individu, dont sa réussite éducative et professionnelle, ses expériences de socialisation, son bien-être et sa qualité de vie.
En ce sens, le développement du langage des enfants devrait être considéré comme une responsabilité collective plutôt qu’une responsabilité familiale exclusivement et, ainsi, comme un enjeu de santé publique.
Lorsqu’on conçoit ainsi le développement du langage, ça a tout le sens du monde que je me retrouve à mener des travaux de recherche au CReSP qui est l’unique centre de recherche dévoué à la santé publique dans la province ! Dans ce milieu, j’ai accès à une expertise sans égale pour m’approprier les théories et les concepts tirés de la santé publique et de la promotion de la santé, sur lesquels on doit s’appuyer pour pouvoir ultimement réduire les inégalités sociales dans le développement langagier des enfants. Mon passage au CReSP a tout le potentiel de me permettre d’allier enfance, langage et santé publique et de replacer cet enjeu au cœur de nos préoccupations au Québec.
Quelle est ta vision de la santé publique, de ses enjeux et de son avenir?
Mes réponses aux questions précédentes ont évidemment déjà mis la table pour ma réponse à cette question! Selon ma perspective: le développement de l’enfant est l’un des enjeux les plus importants de santé publique auquel il importe qu’on s’attarde de façon prioritaire au Québec. Ce n’est pas nouveau, mais on oublie souvent à quel point ce qui se passe dans les premières années de vie constitue un tremplin vers la réussite, le bien-être, la qualité de vie et donc, en somme, la définition même de la “santé” dans sa conception globale adoptée par l’Organisation mondiale de la santé. Les travaux du prix Nobel d’économie James Heckman le montrent: investir massivement et de façon précoce pendant la petite enfance, c’est un des investissements les plus rentables pour une société.
Offrir aux tout-petits du Québec des opportunités égales et nombreuses de se développer harmonieusement (p.ex., investir dans des services de garde éducatifs de qualité) est rentable, nécessaire et prioritaire.
Cet enjeu est devenu encore plus prioritaire en contexte de pandémie, où les inégalités sociales entre les individus se sont creusées : le développement de l’enfant n’en fait pas exception. C’est aussi dans ce sens que vont les recommandations de la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (commission Laurent): tisser un filet social de protection autour des enfants et des familles c’est la voie à privilégier. Cet enjeu ouvre la porte à un autre : la nécessité de travailler de façon concertée et intersectorielle pour joindre les forces, ressources et leviers d’actions de différents milieux et secteurs d’activité et s’arrimer efficacement autour de cet objectif. En somme: la nécessité d’agir tôt et de se parler pour soutenir tous ensemble le développement des enfants au Québec.
Mélissa Di Sante est détentrice d’une maîtrise en orthophonie (Université de Montréal, 2013) et d’un doctorat en Médecine expérimentale (Université Laval, 2020). Elle s’intéresse au développement du langage chez l’enfant d’âge préscolaire, particulièrement aux facteurs environnementaux (relationnels, familiaux, sociaux, économiques) qui contribuent au développement langagier. Elle est actuellement chercheuse postdoctorale affiliée au Centre de recherche en santé publique (CReSP) et à la Chaire de recherche du Canada Approches communautaires et inégalités de santé (CACIS). Ses recherches postdoctorales ont pour but de documenter les pratiques intersectorielles locales qui visent à soutenir le développement des enfants dans des quartiers défavorisés au Québec.